Paradoxe
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La place des femmes dans les mangas

En 2016, la France est devenue le deuxième plus gros consommateur de mangas au monde – après le Japon. Cet engouement croissant pour les mangas a été renforcé par la mise en place du Pass Culture : 71% des livres réservés par son biais sont des mangas. Ces derniers désignent des bandes dessinées japonaises. Cependant, ce succès est entaché par certaines limites. En effet, en tant que lectrice régulière, je n’ai pu m’empêcher de m’interroger à propos de leur traitement des héroïnes ou personnages secondaires féminins. Ainsi, les mangas n’échappent pas à certaines problématiques sociétales telles que la diffusion de stéréotypes et autres préjugés sexistes.

Tout d’abord, les mangas sont classés selon l’âge et le genre de l’audience visée. Ainsi, des stéréotypes de goût en fonction du genre du lecteur sont véhiculés dès le type de mangas lu. Par exemple, les shōnen sont consacrés à un jeune public masculin. Leur récit s’articule autour du voyage initiatique d’un personnage ordinaire qui, épreuves après épreuves, devient un héros. Au contraire, les shōjo, à destination d’un public féminin, sont fondés sur la romance.

À cette classification selon le genre s’ajoute une prédominance de figures masculines. Ainsi, les premiers rôles des shōnen sont réservés aux hommes. Certains mangas évincent même jusqu’à la présence de personnages féminins dans leur récit, à l’image de Hunter x Hunter, manga dans lequel les personnages principaux sont exclusivement des garçons. Par ailleurs, ce phénomène touche également les shōjo bien que les personnages féminins en soient les protagonistes. En effet, les personnages féminins semblent souvent dépendants de ceux masculins. De plus, ce type de mangas ne se concentre que rarement sur le développement moral et physique de ses héroïnes, mais davantage sur leur épanouissement par le seul biais de l’amour.

Personnages principaux de Hunter x Hunter

En quoi est-ce problématique ? Si les shōjo sont tournés vers le thème de l’amour, il n’en est rien pour les shōnen. Classer les mangas en fonction du genre des lecteurs tout en y distinguant les thèmes abordés inculque aux individus dès leur plus jeune âge à différencier ce qui plaît aux filles, les shōjo, de ce qui plaît aux garçons, les shōnen.

De plus, les personnages féminins sont réduits à leur corps, idéalisés et sexualisés. Cette méthode, régulièrement utilisée afin d’inciter davantage les fans à lire les mangas, est surnommée “fan service”. Elle est illustrée dans My Hero Academia qui raconte la formation de jeunes au métier de superhéros et dans lequel les costumes féminins sont nettement plus révélateurs que ceux masculins. Cette réification s’accompagne d’une dévalorisation des compétences des femmes, souvent faibles et inutiles à l’intrigue. C’est le cas de la plupart des personnages féminins de Naruto dont le potentiel est limité pour ne jamais dépasser celui de leurs camarades masculins. Les mangas perpétuent également une certaine forme de banalisation du harcèlement et des agressions sexuelles envers les femmes. Cette dernière est utilisée comme principal ressort comique au sein des mangas.

Or, les mangas sont accessibles à un public jeune. C’est pourquoi ils peuvent influencer les futures générations en contribuant à la diffusion et au cautionnement d’une vision arriérée des femmes, de leurs capacités ainsi que de leur rôle dans la société.

Izuku Midoriya, personnage masculin de My Hero AcademiaMomo Yaoyorozu, personnage féminin de My Hero Academia

Néanmoins, les mangas publiés durant ces dernières années présentent une évolution assez positive. En effet, les femmes infiltrent peu à peu la sphère des mangakas (scénaristes et/ou dessinateurs de mangas) offrant une nouvelle représentation aux personnages féminins. Des héroïnes font également leur apparition dans les shōnen à l’image d’Emma dans The Promised Neverland. Certains personnages féminins gagnent en importance dans les intrigues, rivalisent avec leurs homologues masculins et ne souffrent plus d’hypersexualisation. C’est par exemple le cas dans Jujutsu Kaisen. De même, en France, certains éditeurs posent leurs limites en refusant de publier des mangas jugés trop sexistes.

Maki Zenin, personnage féminin de Jujutsu KaisenNobara Kugisaki,  personnage féminin de Jujutsu Kaisen

Ainsi, malgré les changements récents qui semblent s’opérer concernant la place des femmes dans les mangas, des progrès restent à espérer. Ce traitement des personnages féminins par les mangas reflète le patriarcat sévissant dans les sociétés actuelles. Enfin, en tant qu’amatrice de mangas révoltée par ce sexisme constant, je ne peux que vous enjoindre à choisir vos lectures en prenant en compte les quelques thèmes abordés plus tôt. Préférer les mangas offrant une représentation plus juste des personnages féminins peut être un moyen d’interpeller les mangakas et de favoriser les quelques améliorations notables. Quel que soit le manga choisi, garder un œil averti sur le sujet permet de ne pas participer à la diffusion de tels stéréotypes sexistes voire à y mettre fin.

Faustine Bruckert–Demozay T3

illustrations extraites des mangas cités, tous droits réservés.