Paradoxe
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Proust confiné

Le confinement est peut-être la meilleure occasion, voire la seule, de comprendre rien qu’un peu l’œuvre de Marcel Proust. Je ne vais pas mentir. Je n’ai pas lu tous les tomes d’A la Recherche du Temps perdu, seulement le premier. Toutefois ces derniers jours ma lecture Du côté de chez Swann s’est curieusement rappelée à moi.  

Dans ces temps où l’oisiveté nous gagne et où nous nous retrouvons bien seuls avec nos pensées, se souvenir est une distraction comme une autre. Si on ne peut pas voir les gens qu’on aime, alors on se transporte dans un passé où la situation était différente, et miraculeusement leur présence semble se dessiner brumeuse dans notre chambre. On s’interroge aussi sur nos histoires et sur nos relations en général si bien que parfois on finit par renouer avec des personnes dont l’habituelle agitation de nos journées nous avait éloignés.

L’ennui nous pousse aussi à faire le tri parmi nos vieux papiers, objets, vêtements qui trainent un peu partout et prennent la poussière. Et parfois, un objet insignifiant nous arrête un instant, nous ramène dans un passé révolu et sous nos yeux se joue une scène que l’on croyait avoir oublié mais qui était là tapie dans notre cerveau. 

Chez Proust on a nommé cela la mémoire involontaire, celle qui resurgit aux contacts d’objets ou avec certains de nos sens. Ceci n’est qu’un lien parmi tant d‘autres que nous entretenons en ce moment avec l’auteur et son œuvre.

Commençons par nous rappeler dans quel contexte fut écrite La Recherche. Nous sommes en 1908, Marcel Proust n’est l’auteur que d’une œuvre mineure, sa mère à qui il tenait beaucoup est morte il y trois ans, et son asthme dont il souffre depuis l’enfance le fait souffrir plus que jamais. C’est une période sombre pour l’auteur, il se sent proche de sa fin mais cette année-là ses réflexions prennent enfin forme et il est pris d’une fièvre créatrice. Il s’enferme dans son appartement, cloue des panneaux de liège pour se protéger du pollen et écrit toute la nuit, se reposant le jour, dans ses carnets. Dans cette atmosphère « confinée » il donne naissance en quatorze ans, stoppé par sa mort, à ce qu’on appellera par la suite une cathédrale de souvenirs.

Dans son œuvre, il s’engage dans un combat titanesque avec le temps, recomposant l’univers de son enfance, puis de son adolescence. Il invente aussi des personnages aussi réels qu’ils semblent vivre à nos côtés mais il explore sa mémoire. Des souvenirs qui surgissent au fil des pages, au fil des sensations comme cette fameuse madeleine de Proust trempée dans une infusion de thé ou de tilleul.  Il s’élance à la recherche d’un temps perdu, qu’il veut retrouver, car ce dernier s’est écoulé entre ses doigts. Il a voulu nous rendre conscients du temps, nous le faire sentir.

Or nous n’avons peut-être jamais été si sensibles au temps, si prompts à pratiquer par nous-même la démarche de Proust, à expérimenter des réminiscences. Finalement nous ne sommes pas si éloignés de cet auteur, bien qu’il semble réservé à une élite et de fait est souvent considéré comme « trop difficile ». Il y a une part de vrai dans tout cela. Il faut, en effet, du courage et de la détermination pour le suivre dans une de ces phrases qui de temps en temps recouvrent une page entière, mais aussi pour faire face à l’ennui ou à l’incompréhension qui quelquefois nous gagne.  Comme le dit si bien un illustre inconnu dans une lettre de refus d’édition en 1913 : « Je suis peut-être bouché à l’émeri, mais je ne puis comprendre qu’un monsieur puisse employer trente pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil ». 

Cependant, il faut profiter de l’occasion qui nous est offerte pour se lancer à corps perdu soit dans notre propre exploration du temps, soit dans l’œuvre de Proust elle-même. Pas besoin de lire tout le livre, commencez par quelques lignes puis quelques pages, laissez-vous porter par les phrases sinueuses et rencontrez Swann, Odette ou la sonate de Vinteuil. Vous aussi, partez à la recherche du temps perdu !

Par Clémentine Ligouy, TL

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