Paradoxe
Image default
Témoignages Parole de lycéen·ne

Les troubles du comportement alimentaire : être étranger•ère à son propre corps

ATTENTION : l’article qui suit fait référence à des pathologies mentales et comporte des descriptions brutes. En cas de vulnérabilité, il est préférable de ne pas le lire.

Encore ce miroir. Encore cette nourriture. Encore cette faim honnie. Encore ces parcelles de graisse que l’on traque. Obsessionnellement. On se distord. Jusqu’à ce que notre reflet s’affranchisse de son étau de chair. Puis, c’est la dégringolade. A la recherche de contrôle ou de lâcher prise, on se laisse submerger par des comportements borderlines. D’abord exceptionnels, ils deviennent récurrents puis habituels. Progressivement, on s’enferme à double tours dans les mensonges vicieux de notre cerveau. La honte. La culpabilité. La punition. L’impossibilité de se retenir. La fierté malsaine. La rémission. La rechute. La haine de soi-même. La peur des autres. La fuite du regard. L’impuissance.
Voilà. En quelques lignes, je vous ai plongé•es dans les pensées confuses d’une personne souffrant de TCAs, ou autrement dit de Troubles du Comportement/de la Conduite Alimentaire. Ce terme parapluie englobe de nombreuses pathologies mentales dont les plus connues restent l’anorexie et la boulimie. Il en existe malheureusement pléthore, ignorées ou peu répandues, touchant une population vaste, environ 600 000 personnes en France en 2018, dont la majorité sont des femmes ou des individus souffrant de dysphorie (rejet de certaines portions du corps agressivement genrées par notre société).
Souvent minimisés, les TCAs sont le tremplin à des problèmes de santé lourds tels que des carences alimentaires, pertes musculaires, douleurs articulaires chroniques, dérèglement digestif ou complications rénales. Ils sont surtout des signaux de mal-être, pouvant dériver sur une baisse de l’estime de soi, de l’anxiété, de la dépression, de la mutilation voire des idées suicidaires. C’est pour cela qu’il est nécessaire de les diagnostiquer afin d’accompagner au mieux ceux•elles qui en souffrent, qui, pour la majorité, sont muré•es dans un profond silence.

Quelques maladies et leurs principaux syndromes :

La boulimie se caractérise par des hyperphagies (ingestion d’énormes quantités de nourriture) suivies de « vidanges » volontaires et provoquées (vomissements, laxatifs…), le tout couplé à une forte culpabilisation. Elle entraîne un dégoût de soi-même, dû à l’impossibilité de se retenir, porte ouverte à d’autres troubles mentaux, comme l’anxiété généralisée. De même, la boulimie peut être à l’origine de surpoids ou d’obésité.

Un des dérivés de la boulimie, la sitiomanie, se distingue par l’absence de vomissements à la suite des phases d’ingurgitation compulsive. Dans le langage courant, elle est connue sous le nom de « binge eating » ou encore de « comforting food ». Notre société tend à banaliser ce type de comportements, notamment au travers des romcoms ou autres films dans lesquels l’héroïne (toujours une femme pour que ce soit attendrissant et non pitoyable) noie son chagrin dans la glace. Si ce type de réconfort reste ponctuel, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Cependant, lorsque la nourriture devient la seule échappatoire à la détresse psychologique, il faut consulter un médecin.

L’anorexie mentale réside en une restriction de la nourriture, dans le but de maigrir le plus possible. Régulièrement accompagnée de vomissements, maigreur extrême, refus de manger, somnolence, vertiges ou irritabilité, cette pathologie reste une des plus dangereuses sur le court terme. En effet, une personne atteinte souffre en parallèle de dysmorphie, une déformation de la vision de son corps, à cause de laquelle elle ne se rend pas compte de sa perte de poids inquiétante, pouvant engendrer la mort.

L’orthorexie se résume à un ensemble d’habitudes alimentaires visant à suivre un régime sain. Toute malbouffe ou nourriture possiblement délétère sont évincées. Cela transforme les repas en parcours du combattant, oscillant entre anxiété et obsessions.

Le pica désigne l’ingestion de matériaux non comestibles, à l’instar de la craie, de la terre ou de la mousse. Les intestins sont particulièrement endommagés, à la suite d’occlusions répétées.

Le mérycisme est le besoin impérieux de mastiquer et régurgiter la nourriture avant de l’ingérer. Handicapant au quotidien, ce trouble s’accompagne d’une honte morbide, poussant à l’isolement extrême.

Malgré un bref portrait des principales pathologies, il est impossible d’en faire une généralité. Chaque individu présente un TCA avec ses singularités. Visibles ou non. Cependant, les personnes atteintes possèdent un point commun : elles ne sont pas coupables. Non, ce n’est pas de leur faute si elles ne peuvent se « réveiller » ou se « contrôler ». Non, elles n’essaient pas d’attirer l’attention. Non, cela ne dépend pas de leur volonté, elles ne sont pas plus faibles que les autres.
Les éléments déclencheurs des TCAs sont multiples, allant d’un trauma grave à une simple remarque répétée quotidiennement. Mais, tous doivent être pris en compte. Aucun n’est plus légitime que l’autre. Et surtout, il n’y a pas une apparence floquée « TCA valide ». Pas besoin d’avoir les os qui ressortent pour être anorexique. Pas besoin d’être en surpoids pour être boulimique. Votre voisin•e peut se battre contre un trouble, sans même que vous ne le sachiez. Se battre oui. Car c’est une lutte incessante, contre ses démons intérieurs.
Le chemin est long, avant d’aimer ou juste de tolérer son corps.
Vous, qui souffrez de TCAs, tenez bon. La guérison n’est pas une option. Entouré-es, vous parviendrez à vous libérer de ces chaînes terribles.
Vous, qui ne soupçonnez rien, ne culpabilisez pas. Vous avez eu la chance de pouvoir savourer sans vous marteler. Toutefois, faites preuve de bienveillance. Vos moqueries, vos piques ou mêmes vos remarques factuelles sont capables de briser un être. Vous ignorez la relation qu’entretient votre interlocuteur•trice avec son corps. Alors n’aggravez rien en lâchant des mots inutiles.
Vous qui lisez cet article, vous avez senti le ton corrosif. C’est mon cri. A mon échelle, je veux briser ce tabou. Je souffre d’anorexie mentale depuis la fin du primaire. J’étais rondouillard, un petit enfant joufflu. Puis, il y a eu les « oh, il est bien en chair ». Les « t’arrives pas à rentrer dans ton jean ? ». Les images agressives dans les rues, couronnées de néons. Puis la puberté. J’ai complètement perdu pied. Vu que je ne maîtrisais rien dans mon existence, je me suis réfugié dans un contrôle extrême de ce que j’ingérais. Le tout couplé à du sport à haute dose, à la limite de l’épuisement. Je me suis blessé. Depuis, j’ai des douleurs chroniques aux articulations ainsi qu’un trouble anxieux généralisé dès que je me retrouve en contact avec de la nourriture. J’enchaîne des phases d’affamement violentes. La dernière en date m’a fait ouvrir les yeux. C’était en septembre. Je mangeais moins d’un repas par jour, en suivant une activité physique intense à côté. Je suis descendu à 45kg pour 1m70 environ. Pour que vous vous rendiez compte de l’ampleur des dégâts, il faut savoir qu’une personne de mon gabarit en pleine santé fait environ 60kg. J’avais continuellement froid. Tout le monde portait des T-shirts, je m’enroulais dans une polaire. J’avais des difficultés à marcher. Dès que je me levais, j’étais pris de vertiges. Vu que je ne porte que des habits larges, quasiment personne ne s’est rendu compte de ce qu’il se passait. Je me taisais, me complaisant dans ma maigreur maladive. Puis, il y a eu cette remarque. « Tu ressembles à un juif sorti d’Auschwitz avec ton crâne rasé ». A la personne qui a prononcé ces mots : tu n’as rien fait de mal. Tout à coup, le voile est tombé. J’ai vu mes doigts osseux. Mes côtes saillantes. Ma colonne étirant ma peau. Ce squelette. J’ai recommencé à manger. Plus, même si ce n’est pas assez. Et me voilà en lutte avec mon cerveau. Juste pour me nourrir correctement. Même si je vais mieux, je suis toujours sur un fil. A deux doigts de dégringoler. C’est ça, le visage des TCAs : une douleur silencieuse, un hurlement étouffé.

Je n’ai pas de remèdes miracles ou de numéros verts à proposer. Néanmoins, parlez-en autour de vous. D’abord vos proches. Pas forcément vos parents, dont la crainte innée fait plus de dégâts que de réparations. Puis rapidement, joignez un professionnel de santé. Un psychologue qui vous aiguillera vers un psychiatre. Un diététicien s’il le faut. N’ayez pas honte de consulter « pour des simples caprices d’adolescents ». Votre souffrance est valide, ne la contenez pas. Vous avez encore bien à faire sur cette Terre.

NB : Un énorme merci aux personnes ayant eu la force de témoigner ainsi qu’à celles qui m’ont conseillée pour cet article. Vos efforts et vos combats personnels paieront.

Témoignages :

« Dans ma famille la tendance à l’obésité est présente, j’ai jamais vraiment voulu ressembler à Tonton Johnny qui ne peut même plus faire du sport. J’ai toujours été une gamine un peu rondelette mais rien d’alarmant. Vers mes 9 ans, j’ai commencé à prendre du poids d’un coup, hormones apparemment, et, en grande amoureuse de la nourriture, j’ai continué à en prendre. Ma mère a commencé à me limiter les proportions, je savais que j’étais un peu plus ronde que les autres mais je me trouvais toujours super mignonne jusqu’à cette remarque fatidique : « hé mais t’as vu comment elle est grosse, quelle baleine, son ventre dépasse de ses vêtements ». Ouch, coup dur. J’ai arrêté de faire du sport, c’était devenu une torture : me changer devant les autres, bouger mon corps devant un public…
Une simple remarque avait suffi pour que je sois obsédée par mon corps.
J’ai maintenant 18 ans, la moitié de ma vie a donc été déterminée par une simple remarque d’un de mes camarades de classe qui voulait faire rire ses ami-es. Cette phrase, que je n’étais pas censée entendre, m’a blessée et a déterminé ce que mon corps est devenu. J’ai passé des jours à ne pas manger, enchaîné des jours où je mangeais pour 10, et il y avait la phase durant laquelle je me faisais vomir.
Un TCA n’est pas forcément visible, personne ne l’a jamais remarqué chez moi, mais, moi, je suis obsédée par cette balance qui indique un poids toujours horrifiant après chaque crise. Aujourd’hui je vais mieux, je ne me fais plus vomir, mais mon poids fluctue énormément. J’ai toujours beaucoup de mal à assumer mon corps qui garde les cicatrices de ces souffrances, mais je me relève. J’ai décidé d’accepter peu à peu mon corps, je ne le changerai plus pour plaire à quelqu’un. Oui, j’ai encore du mal, un TCA ne s’en va pas comme ça.
Si ce sujet ne vous concerne pas, ne donnez pas de conseils et surtout pas le fameux « Mange », aidez vos proches qui en souffrent et évidemment ne critiquez personne, vous ne pouvez pas savoir quelle relation cette personne entretient avec son corps.
Si vous êtes personnellement concerné•e, faites-vous aider, parlez, ça ira mieux, vous n’êtes pas seul•e. »
Anonyme, 18 ans.

« Je m’appelle Marion, je suis en première et, entre juin 2018 et juin 2019, j’ai été anorexique. Je n’ai pas besoin d’évoquer les raisons qui m’ont faite tomber dedans car elles sont différentes d’une personne malade à l’autre.
Je tiens à insister sur le fait qu’il s’agit d’une maladie et qu’il est nécessaire – et non pas honteux – de se faire aider pour guérir.
J’ai commencé à développer ce trouble à la toute fin de la troisième. Grâce à mes parents, très à l’écoute, j’ai été rapidement prise en charge par un pédopsychiatre. Je souhaite m’attarder sur ce point quelques instants. Aller chez un psychologue est une action qui demande, pour beaucoup, du courage, et nous en attendons souvent des résultats rapides. Tout d’abord, je tiens à rassurer certaines personnes : il arrive que le médecin choisi ne nous convienne pas. Il ne faut pas hésiter à changer, c’est précisément ce que j’ai fait. De plus, il ne faut pas être pressé•e et surtout ne pas se décourager, la guérison découle d’un long processus. Ainsi, dès septembre je suis allée voir une psychologue avec qui je m’entendais mieux. Parallèlement, j’ai été suivie par une nutritionniste qui me donnait des consignes pour me nourrir. J’avoue ne pas les avoir suivies jusqu’en décembre de Seconde où j’ai, pour plusieurs raisons, eu le « déclic ». Pour commencer, je n’étais plus heureuse : je me disputais avec mes parents, inquiets, j’étais constamment angoissée et je ne me reconnaissais plus. Je souhaitais toujours perdre plus de kilos, croyant que je me sentirais mieux. J’étais faible et je faisais de nombreux malaises. Il faut savoir que la perte de poids entraîne une baisse de la production des hormones, mes émotions étaient confuses. Il y a eu également un déploiement de défenses, tentative de survie du corps, avec l’apparition d’un duvet sur le corps, le cœur qui bat plus fort… Enfin, j’étais perdue entre l’envie de revivre normalement et la peur de reprendre du poids. C’était un combat perpétuel comme si j’étais divisée en deux. A partir de décembre, ayant perdu 15 kilos en 6 mois, j’ai décidé de me reprendre en main et de guérir. J’y suis parvenue, petit à petit, avec le soutien de ma famille et de mes amis, mes médecins et également l’école, qui a été très compréhensive. Mon corps s’est remis à fonctionner, avec le retour de mes cycles menstruels par exemple. Enfin, les complexes et angoisses sont partis progressivement de sorte qu’en juin, j’étais entièrement guérie.
Pour conclure, le « déclic » a mis du temps à arriver, mais c’est en étant suivie par des médecins – qui par ailleurs m’ont évitée l’hôpital à 35 kilos – en étant entourée et en ne perdant jamais l’espoir d’en finir qu’il est apparu. Ce combat m’aura marqué à vie puisque je suis, aujourd’hui, très sensible aux maladies psychologiques. Tomber malade, même lorsqu’on pense n’avoir aucune raison de se sentir mal, n’est pas une honte. Se faire suivre par des professionnels non plus. Nous pouvons toujours nous en sortir, et ce avec des bénéfices uniquement : j’ai eu un chien, j’ai appris à me connaître, et cet épisode a, en partie, construit de manière positive celle que je serai plus tard. »

Anonyme, 17 ans

« J’ai toujours eu une mauvaise vision de mon corps. Depuis toute petite, j’étais différente de mes amies à cause de mes kilos en trop et, très vite, les remarques ont commencé. Alors, ma relation avec la nourriture et mon corps s’est dégradée. J’ai véritablement détesté mon corps pendant longtemps. Je considérais que tout ce qui allait mal dans ma vie avait un rapport avec ces kilos en trop. Dès que je me sentais mal, je mangeais moins, voire pas. Je me disais : « Peut-être que si je maigris, je vais être plus jolie et les autres vont tous m’aimer ». J’ai essayé de me faire vomir plusieurs fois, mais sans succès. Ensuite, j’ai eu une période de vide, durant laquelle j’allais rarement bien. J’alternais des phases où je mangeais beaucoup trop (ça me faisait parfois me sentir « mieux »), accompagnée d’une culpabilité violente, et des phases où je me restreignais. Ces mauvaises habitudes ne sont pas restées constantes, se manifestant par « périodes » durant lesquelles toute nourriture me dégoûtait, me donnait la nausée ou me donnait envie de pleurer. Aujourd’hui, ces périodes sont bien moins fréquentes, notamment grâce à des ami•es moins toxiques, mais elles persistent durant les moments de stress, les épisodes de déprime ou l’arrivée de l’été et du « summer body ». »
Anonyme, 18 ans

« J’ai souffert de TCA. Et des deux principaux. En alternance, pendant un an. J’aimerais te dire que c’était léger car je ne m’affamais pas, je me faisais « simplement » vomir. C’était devenu un loisir, une activité, plusieurs fois par jour. Jusqu’au jour où je suis tombée, inerte, alors j’ai mangé tout ce que je pouvais, même ce que je n’aimais pas. Jusqu’au jour où je n’ai plus réussi à lever ma jambe lors d’une arabesque, alors j’ai recommencé à vomir. Je ne pourrais pas te dire que quelque chose ou quelqu’un m’a « sauvée », cependant c’est fini. Oui, c’est fini, et je m’en convaincs. Je ne veux pas revivre la honte de son corps, la quête du poids le plus bas, le regard des autres hautains et dégoutés, je ne veux pas. Chaque coup de stress, drame familial, rupture amoureuse ou amicale est une épreuve : ne pas chuter, se relever, rester hors de l’eau, vivre. C’est dur – tout comme écrire ces mots – pourtant j’y suis arrivée, alors tu peux le faire. Toi qui souffres, tu peux remonter à la surface. Toi qui ne souffres pas, tu peux aider, assister, soutenir, aimer. Ce témoignage est maigre surtout car c’est une douleur atroce d’en parler, mais aussi car je souhaite que chacun puisse surmonter cette douleur pour se délivrer de ces maux que sont les TCAs. Cela semble un peu biblique pourtant c’est vrai : ce témoignage est une preuve de victoire. Aujourd’hui, je me porte bien, j’accepte mon corps et n’ai aucun mal à le montrer, même s’il porte les marques des rechutes. Le combat est éreintant, les rechutes présentes et déprimantes mais la victoire n’en est que plus belle et jouissive. Regarder dans le passé et se convaincre que l’on est plus fort que ça, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée. Il n’y a pas de « bons mots », de recette de grand-mère, de médicaments chimiques, de plantes, et je le sais plus que n’importe qui. Alors, simplement, qui que tu sois, qui que je sois, je suis avec toi. Tu y arriveras. »
Anonyme, 18 ans.

En lien...

Le stress : quels effets sur l’organisme et quelles méthodes pour le combattre ?

PARADOXE