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Articles de fond

Quatre fers en l’air

Le fer à cheval. On utilise cet outil depuis si longtemps que peu de gens remettent son utilisation en cause.

L’enseignement dans les écoles vétérinaires et de maréchalerie est centré sur le pied ferré si bien que le fer est devenu la norme dans le monde de l’équitation. Alors quand on vient à poser la question du « pourquoi le fer ? » à un•e cavalier•e, on aperçoit généralement les yeux de notre interlocuteur•trice s’agrandir et nous regarder comme si on était le•a dernier•e des imbéciles (truestory), pour nous servir une réponse toute faite « Parce qu’on doit ferrer les chevaux » (bien sûr ! comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ?!) ou le très célèbre « Parce que le sabot du cheval s’abîme trop vite, il faut donc le protéger» (C’est peu connu mais les premiers à avoir eu recours à l’utilisation du métal sont les chevaux en 500 av JC car ils se retrouvaient sur des moignons après avoir fui le premier prédateur venu). En effet, à ce jour je n’ai reçu aucune réponse tangible à ma question. Et pour cause, aujourd’hui les chevaux ferrés le sont de manière systématique (« parce qu’on a toujours fait comme ça », argument pépite lui aussi) et une infime partie des cavaliers•ères remettent en question l’usage de cet outil qui n’a pratiquement pas évolué depuis sa création, au IXème siècle. (Edit : en fait si, il a évolué, il est maintenant disponible en rose et en bleu *facepalm*). Pourtant, peu de gens saisissent vraiment l’impact de cet élément sur la santé des équidés : en effet, les fers réduisent l’espérance de vie d’un cheval de 20 ans ! Alors, c’est bien beau de balancer ce genre d’information qui ressemble au titre d’une vidéo attrape-clics : « Cet artefact réduit votre durée de vie de 20 ans !!! (ça tourne mal) », mais concrètement, qu’est ce qu’il se passe pour arriver à cette conclusion morbide ? Déjà, pourquoi a-t-on inventé les fers ? Surtout à l’époque où la ferrure était très coûteuse, pourquoi s’embêter à payer très cher un outil qui tuerait notre cheval à petit feu ?

L’explication est plutôt simple : le fer, comme 90% des choses en équitation, vient d’un héritage militaire ; il sort tout droit d’une époque où on devait pouvoir se servir des chevaux à tout moment, qu’ils marchent sur tout type de sol, dans des conditions très dures, sans poser aucune résistance. Et effectivement, dans ces conditions extrêmes, les pieds du cheval sont très sollicités et s’usent énormément, donc pour palier à cette usure on a décidé de clouer un bout d’acier sous la paroi du sabot. Sauf que maintenant le cheval n’est plus utilisé sur le front militaire (les bombinettes, tanks et autres joyeusetés sorties de notre imagination ont assuré la relève). Néanmoins, l’immense majorité des chevaux sont ferrés alors que l’équitation est maintenant un loisir, on n’est plus dans l’urgence de la guerre où Petit Tonnerre devait défendre le pays rapidement et tant pis s’il y avait des conséquences sur sa santé. Le travail demandé aujourd’hui aux chevaux permet de les laisser pieds nus ; et quand bien même les structures du pied seraient abimées à cause du travail demandé au point que le cheval ne puisse plus assurer sa locomotion : Est-ce vraiment éthique de pousser un animal au-delà de ses capacités physiologiques ? De plus, une grande source de destruction de ces structures est le fer : comme la ferrure n’est pas adaptée au pied du cheval, elle va forcément l’abimer (le pied, la musculature et les structures osseuses s’adaptent pour recevoir le fer). Je vous propose donc une petite série non-exhaustive des méfaits des fers sur la santé des équidés.

Alors on va commencer par l’argument phare : le fer réduit l’espérance de vie du cheval. Pour comprendre ça il faut se pencher sur le fonctionnement du pied : En fait le pied du cheval, la fourchette et le coussinet plantaire pour être plus précis, agit comme une pompe à sang qui aide le cœur. Au contact du sol, le pied du cheval, beaucoup plus souple qu’il n’en a l’air, va s’évaser et se gorger de sang, et inversement, lorsqu’il se lève le pied se contracte et le sang repart. Or, la rigidité du fer va empêcher le pied de se déformer et la fourchette de toucher le sol, ainsi, il va priver de la contribution des pieds l’irrigation du cheval. Le cœur doit donc compenser seul la perte de ses quatre pompes ; il se fatigue beaucoup plus vite ce qui réduit drastiquement la durée de vie du cheval. Pour se faire une idée, on peut comparer l’espérance de vie de l’âne et du cheval : l’âne a une espérance de vie située aux environs des 50 ans, alors que celle du cheval ne dépasse pas la trentaine ou la vingtaine pour les chevaux de sport, raccourcie entre autres par d’autres facteurs qui méritent un article à eux seuls (pour faire court : non, on ne monte pas un cheval qui a 3 ans et non, on ne peut pas rester une heure sur le dos d’un cheval sans descendre).

Un autre argument qu’avancent les pro-fers que j’ai oublié dans mon introduction est « le fer amortit les chocs ». Alors… non, parce que le fer est rigide, comme dit précédemment, le pied nu se déforme, il peut donc se déformer au contact du sol et amortir ; le fer, lui, bloque toute déformation de la boîte cornée. Donc lorsqu’un cheval ferré pose son pied, il ne pourra pas absorber les chocs et ce seront les autres structures des membres (articulations, tendons, ligaments etc.) qui devront subir toutes les vibrations qui sont, dans le cas d’un cheval pied-nu, majoritairement absorbées par le pied. Et honnêtement, si l’acier permettait de faire disparaitre l’énergie cinétique comme par magie, ça se saurait ; sauf que c’est même le contraire : le poids du fer augmente l’inertie du pied ce qui provoque une réaction du sol plus importante.

Un autre problème causé par l’impossibilité du pied à se déformer est qu’au contact d’un obstacle le pied ne pourra pas s’adapter à la forme de l’obstacle et ce sera donc au système squelettique de compenser. Ce qui entraine de nombreuses pathologies sur les systèmes tendineux et squelettique.

Un autre des problèmes causés par le fer est qu’il va couper la circulation sanguine, donc les nerfs ne seront plus assez irrigués ce qui anesthésie en quelque sorte le pied du cheval. Ce dernier ne sent donc plus ses pieds et peut dépasser ses limites physiologiques sans réaliser l’impact sur les structures des membres. Le gros quiproquo lorsque l’on déferre un cheval est lorsque l’on observe des boiteries, dues notamment au retour du sang dans le pied ; la première réaction est de se dire « Mon cheval boite lorsqu’il est pied nu et ne boite pas quand il a des fers, c’est donc qu’il est mieux avec. » Alors que si le cheval ne boite pas lorsqu’il était ferré, c’est qu’il était comme anesthésié et lorsqu’on les enlève il retrouve la sensibilité de ses pieds (et se retrouve sur des pieds qui ne sont pas fonctionnels car atrophiés à cause du fer). Lorsque l’on déferre, un cheval on suppose qu’il faut au minimum trois mois pour qu’un cheval soit à l’aise dans ses pieds mais ça peut très bien durer un an en fonction des individus. On considère qu’au bout de deux ans le cheval retrouve des pieds fonctionnels et sains (variable encore une fois en fonction de l’individu). 

Maintenant que j’ai craché sur le fer tout au long de cet article, il faut quand même se mettre d’accord sur un point. Si un cheval ferré âgé n’a pas de problèmes de locomotion, de ferrage, ou d’ordre ostéopathique, ce ne serait pas judicieux de le déferrer car tout au long de sa vie il a compensé les effets du fer avec sa musculature et des modifications osseuses. Il lui faudrait donc refaire tout son corps pour s’adapter à son nouveau. Ce qui est extrêmement compliqué pour un cheval qui dépasse la quinzaine. Donc il est préférable de prendre du recul, d’analyser chaque situation au cas par cas et de juger s’il faut laisser un cheval ferré ou non.

Je sens que l’article touche à sa fin, j’aurais aussi pu m’attaquer à ces joyeusetés causées par le fer : pieds contractés, pince migrée, seimes, sole trop fine (bousillée entre autre lors du passage du maréchal), de la descente distale (abaissement de la 3ème phalange) qui provoque des pressions sur le bourrelet coronal, de l’atrophie des structures internes du pied (très flagrante quand on regarde le coussinet plantaire) accompagnée d’une nécrose plus ou moins prononcée des tissus ou tout simplement des maréchaux ferrants qui ne sont absolument pas formés pour l’entretient du pied nu et qui se livrent à des petites guéguerres administratives avec les pareurs/podologues… mais d’une part j’aurais dû accompagner cet article de photos plus ou moins glamour (plutôt moins que plus d’ailleurs) et d’autre part cet article aurait été trop long et j’aurais perdu la moitié des vaillant•es lecteur•trices  qui sont déjà parvenu •es jusqu’ici (bravo champion•ne, plus que quelques lignes). J’espère que j’aurais réussi à vous convaincre que placer de gros trucs en acier bien lourd sous les pieds de n’importe quel animal est un doigt d’honneur aux millions d’années d’évolution qu’il a fallu pour en arriver là. Néanmoins, je pense que vous aurez compris avec cette petite conclusion que j’ai brossé le sujet très largement et qu’on est encore loin d’avoir fait le tour du problème, qui implique entre autres des conflits d’ordre idéologique. C’est pourquoi je vous invite, si le sujet vous a intéressé•e, à vous renseigner davantage sur le pied nu. Je dirais pour conclure que s’il ne faut retenir qu’une seule chose de cet article c’est qu’il faut tout remettre en question. Ce n’est pas parce qu’on utilise un outil depuis des centaines d’années qu’il est bon, il faut se pencher sur toutes les conséquences des objets qu’on utilise et des lobbys qu’on nous impose.

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