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Dusan Popov, l’incroyable destin du James Bond originel

Pierce Brosnan, Sean Connery, Roger Moore, Timothy Dalton, George Lazenby, Barry Nelson, David Niven, Daniel Craig… tant d’acteurs qui se sont glissés dans la peau de l’agent secret le plus iconique du septième art au cours des soixante-dix dernières années.

Officier intrépide, tourmenté, parfois controversé, l’espion de Sa Majesté paraît comme hors du commun des mortels. Celui qui a donné vie à James Bond, par la série de romans d’espionnage, n’est autre que l’écrivain britannique Ian Fleming. Mais si 007 doit principalement son succès aux diverses interprétations cinématographiques, l’auteur s’est majoritairement inspiré d’un homme dans la création du rôle. Son nom est Popov, Dušan Popov.

Source : Wikipédia

L’enfance de Dušan Popov

Né en 1912, Popov grandit dans une richissime famille serbe. Villas, yachts, manoirs, serviteurs… il connaît un style de vie extravagant, bien loin des tensions politiques qui sévissent dans la région des Balkans au début du XXe siècle. L’accent est mis sur son éducation. Popov fréquente ainsi les meilleures écoles d’Europe et parle le serbe, l’italien, l’allemand, l’anglais et même le français.

L’avènement de la guerre : Popov s’engage pour combattre le nazisme

1935. Fribourg-en-Brisgau, Allemagne. Dušan Popov intègre l’université de la ville afin d’obtenir un doctorat en droit. Le pays est alors marqué par l’avènement au pouvoir d’Adolf Hitler et l’installation d’un régime totalitaire et raciste. 

Deux fois par mois, Popov se rend, accompagné de son nouvel ami, l’allemand Johann Jebsen, au Ausländer Club, un regroupement d’étudiants étrangers qui débattent des questions politiques contemporaines. Tous deux expriment un fort ressentiment pour le régime en place et sont offusqués par les arguments pro-nazis développés devant eux. En signe de contestation, Popov n’hésite pas à prononcer des discours plaidant en faveur de la démocratie et à ridiculiser les thèses nazies.

Arrêté par la Gestapo, qui l’accuse d’être communiste, il subit un interrogatoire musclé de huit jours et est transféré dans la prison de Fribourg. Jebsen contacte immédiatement le père de Popov afin qu’il active ses relations pour éviter à son fils d’être interné en camp de concentration. Quelques coups de fil plus tard, Popov est libéré, mais expulsé d’Allemagne.

1940. La guerre fait rage. Dušan Popov reçoit un télégramme de Jebsen : « Besoin urgent de te voir. Rendez-vous le 8 février. Hôtel du roi de Serbie, Belgrade. » Autour d’un verre, son ancien camarade confie à Popov qu’il a dû rejoindre l’Abwehr, service de renseignement allemand, au risque d’être enrôlé dans la Wehrmacht, forces armées de l’Allemagne nazie, et de servir de chair à canon au front. 

Popov devient rapidement un célèbre agent double

Dans le même temps, Popov est approché par un cadre de l’Abwehr, qui souhaite le persuader d’intégrer les renseignements nazis. Par l’influence de sa famille, ce dernier pourrait en effet s’infiltrer dans les plus hautes sphères de la société anglaise, afin d’y récolter des informations pour le compte de l’Allemagne. Popov est surpris mais il accepte. Il a une idée derrière la tête…

Déterminé à causer la perte des nazis selon ses convictions démocratiques, il se rapproche de l’ambassade britannique pour jouer l’agent double. Popov entre ainsi dans l’unité spéciale réservée aux agents doubles : le Système Double Cross.

Duško pour l’agence de renseignement militaire serbe, Ivan pour l’Abwehr allemand, Tricycle pour le MI5 britannique : Popov devient dès lors l’une des principales figures du contre-espionnage de la Seconde Guerre mondiale.

Un train de vie comparable à celui de James Bond…

Dépeint comme joueur, charismatique, amateur de belles voitures, de tabac et d’alcool, le style de vie à la Popov se rapproche de celui du surnommé 007. Tel son alter ego britannique, il utilise comme couverture celle d’un homme d’affaires travaillant pour une société d’import-export, et revêt l’image d’un playboy, sensible aux charmes féminins. Ils multiplient tous deux les aventures, Popov ayant même partagé l’existence de l’actrice française Simone Simon. Anecdote notoire : Popov aurait aussi échappé à l’explosion d’un véhicule piégé.

Retour en 1940. Après avoir emménagé à Londres, Popov fait des allers-retours au Portugal neutre, pour y rencontrer ses contacts de l’Abwehr. Sa mission de double-espion ? Leur fournir un mélange de vérités et de contre-vérités, selon les ordres du service britannique. 

Son travail pendant la Seconde Guerre mondiale est ainsi crucial pour les Alliés. Il participera par ailleurs à des missions qui sont entrées dans l’Histoire…

La fin de la guerre et la libération de la France

1941. Etats-Unis. Popov est en mission pour recueillir, pour les Allemands, des renseignements sur les mesures défensives américaines concernant la base navale de Pearl Harbor. Il prend contact avec le MI5 afin d’informer le directeur du FBI, J. Edgar Hoover, de sa mission d’espionnage pour le compte des nazis. Ne prenant pas au sérieux l’agent serbe en raison de sa réputation sulfureuse, Hoover ne transmet pas aux autorités militaires américaines, les informations collectées par Popov. La négligence de l’Américain se révélera un facteur ayant empêché de faire barrage à l’attaque japonaise…

Ces tensions avec le FBI conduisent le MI5 à rappeler leur espion à Londres. 

Frustré, Popov se ressaisit néanmoins, et contribue à l’opération Bodyguard. Le but ultime est de tromper les Allemands sur le projet de libération de la France par les Alliés, prévu pour l’été 1944. Il s’agit de lancer une désinformation élaborée. Popov joue un rôle clé dans un sous-plan de Bodyguard, connu sous le nom d’opération Fortitude. Il transmet à l’ennemi des détails inventés sur les unités, la force et l’organisation du FUSAG, un groupe armé américain, qui est, en réalité, entièrement fictif. Tandis que la réelle invasion se déroule en Normandie, les Allemands sont donc convaincus qu’il faut garder de puissantes formations dans le Pas-de-Calais, afin de défendre l’événement principal : l’invasion du FUSAG. Pendant sept semaines, les unités nazies défendent donc le pic nord de la France ; les Alliés peuvent alors progresser sur les côtes normandes, et délivrer progressivement le pays.

La scène qui inspirera à Ian Fleming le personnage de James Bond

Si son travail d’agent double favorise la cause alliée, c’est surtout une anecdote stupéfiante qui va inspirer à Ian Fleming la création du personnage de James Bond.

Août 1941. Casino Estoril, Lisbonne. Ian Fleming, alors officier du renseignement de la Royal Navy, rencontre Popov. Ce dernier est en possession d’une somme d’argent qu’il doit remettre au MI5. Fleming l’observe en retrait. Connaissant son train de vie décadent, il doit en effet s’assurer que Popov ne dilapide pas l’argent de la Couronne.

L’espion serbe se meut entre les tapis verts, dans l’effervescence des jeux. « Banque ouverte ! Banque ouverte ! » entend-il sans cesse clamer à une table de baccara, signifiant que n’importe qui peut miser la somme qu’il souhaite pour la manche suivante. Popov se retourne et croise le regard d’un certain Bloch, juif hollandais particulièrement arrogant qu’il a déjà rencontré, qui mène le jeu. Désireux de l’humilier, il s’approche et lance… 38 000 dollars sur la table. Cette somme, considérable en temps de guerre, l’est d’autant plus qu’il s’agit précisément de l’argent qui doit servir aux services britanniques. Seuls des murmures d’étonnement se font entendre dans la salle. Le coup de bluff est magistral : évidemment, personne n’est prêt à le suivre. Popov simule une colère afin de mettre en cause le manque de professionnalisme du casino. « Je suppose que le casino couvre l’enjeu de Monsieur puisque vous n’avez pas fait objection à sa banque ouverte », lance-t-il au croupier. Bloch se retire du jeu, humilié. Popov reprend son argent et s’exclame : « C’est une honte, que vont penser les joueurs sérieux ! », avant de quitter la table.

Cette scène extraordinaire, l’audace et le panache de cet homme, ont fortement marqué l’agent Fleming. Dans l’adaptation de Casino Royale de 2006, on retrouve ainsi James Bond misant tout l’argent dont il dispose – plus de 40 millions d’euros – afin d’empêcher le Chiffre, un banquier privé, de transférer ses gains à une organisation du terrorisme international.

Fougueux, Dušan Popov est ainsi un personnage énigmatique que l’on n’aurait aucun mal à imaginer à la place de James Bond.

Une nuance est cependant à apporter au tableau. Une longue liste de personnages, fictifs ou non, aurait en effet pu inspirer l’écrivain Ian Fleming. Nombreux sont également ceux qui pensent que l’auteur aurait retranscrit ses propres goûts – l’amour du golf et du jeu, entre autres – et son tempérament au personnage de Bond. Par ailleurs, Fleming aurait utilisé en grande partie sa propre expérience dans l’espionnage, et d’autres aspects de sa vie, comme source d’inspiration lors de l’écriture, notamment en utilisant des noms d’amis d’école, de connaissances, de parents ou encore d’amantes, tout au long de ses romans.Enfin, Popov tient lui-même à se détacher du personnage. La mission d’espion n’était en effet pas aussi extravagante qu’elle le paraît dans les films. Il s’agissait surtout de faire preuve d’une discrétion sans faille pour transmettre des informations sans éveiller le moindre soupçon, et certainement pas en s’engageant dans des bras de fer armés surréalistes. Comme il l’exprimait si bien : « Un James Bond de chair et d’os ne survivrait pas plus de 48 heures ». Cela est dit.

Amandine Chaussée, Terminale 4

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