Causette : allier information, humour et féminisme.
Dans cette interview découvrez les dessous du journalisme et comment répondre aux questions féministes actuelles.
Isabelle Motrot, directrice éditoriale du magazine féministe Causette, qui allie information, humour et féminisme, a accordé une interview à Paradoxe.
Après plusieurs années à la radio et à la télévision, elle commence à écrire pour Causette en 2010 et occupe désormais ce poste depuis 2016. Elle nous livre aujourd’hui les dessous du journalisme, nous parle féminisme et en prime donne des conseils pour les petit·es journalistes en herbe.
P/ Quel est votre rôle dans le journal ?
I/ Je suis directrice éditoriale, ce rôle change en fonction des journaux et magazines, cela dépend de ce qu’on y fait. Personnellement, je gère la rédaction, les journalistes, les pijistes, la réalisation, je veille à ce que tout se passe bien mais aussi au développement de la marque du journal. J’organise événements, tables rondes, rencontres, signatures et partenariats afin que l’on parle de Causette le plus possible.
P/ Le journalisme et l’édition ont-ils toujours été une passion ?
I/ Non pas du tout ! (rires)
L’édition j’adore ça mais j’y suis venue un peu tard. Avant j’étais plus dans l’oralité et pas du tout sur le papier.
C’est vraiment avec Causette que je me suis sentie en accord avec une équipe, j’aimais bien écrire donc ça me plaisait d’écrire pour un magazine, même si le journalisme c’est une écriture particulière.
Quand on est auteur on pense surtout que ce qui compte c’est ce qu’on écrit, donc on n’aime pas beaucoup qu’il y ait des photos, ça prend de la place MAIS quand on commence à progresser, on se rend compte que non, si vous avez un grand placard d’articles sans photos personne ne va le lire, il faut donc apprendre à être humble par rapport à l’écriture.
J’ai fait cet apprentissage, qu’on fait très tôt normalement, assez tard. Maintenant ça me passionne totalement.
P/ Selon vous, qu’est-ce que Causette a apporté au journalisme d’aujourd’hui et à la presse écrite en général, par ses idées ?
I/ Causette est un magazine complètement différent des autres, il suit une voie unique. Causette n’est pas un féminin tout en étant un féminin : c’est un journal qui s’adresse aux femmes pas du tout comme on le faisait à l’époque, il y a 10 ans. Il est totalement différent des magazines comme Grazia, Glamour ou Femmes actuelles. Causette c’était un « ovni des journaux ».
Ce qui est important c’est qu’il ne ressemble à aucun autre. Au départ c’était très mal vu, les gens l’associent trop à un truc de bonne femme qui avait fait mai 68, mais maintenant le féminisme a pris beaucoup plus d’ampleur et Causette éduque par rapport à ce sujet. On ne peut pas dire que c’est nous qui avons apporté ça à la société, ça serait extrêmement prétentieux et totalement faux. Mais le féminisme c’est notre ADN. Aujourd’hui certains de nos confrères essaye de rattraper le truc mais c’est différent, on voit que ce n’est pas leur ADN.
P/ Causette est considéré comme le premier vrai magazine féministe. Vous définissez-vous donc comme féministe ? Depuis quand ? Y a-t-il eu une révélation ?
I/ Oui bien sûr, je me définis comme féministe.
Je ne pense pas que j’ai eu de révélation, je n’arrive pas à dire « voilà à tel moment de ma vie j’ai eu un déclic ». J’ai toujours eu cette sensation que les femmes devaient être égales aux hommes. J’ai une mère qui a arrêté de travailler parce que mon père voulait qu’elle s’arrête. Il était carreleur, entrepreneur artisan, donc les femmes d’artisans traditionnellement font la comptabilité. Mais ma mère faisait du dessin, du stylisme – elle a arrêté pour ça, donc j’ai toujours eu en tête que ce n’était pas bien du tout de cesser de faire quelque chose qu’on aime pour soutenir son mari (rires), qu’il fallait être indépendante, c’est quelque chose que j’ai vécu ; c’était évident pour moi, je ne l’ai pas appris, je suis née dedans.
P/ Il y a encore aujourd’hui une grande controverse du féminisme, beaucoup de gens en ont une mauvaise vision, tout de suite associé à l’extrémisme, comment le vivez- vous au quotidien ?
I/ Le féminisme est une étape pas un objectif final. C’est une étape dans un schéma complètement bisounours, où hommes et femmes seraient égaux, plus de racisme, plus d’antiféminisme…
De la même façon qu’on a lutté contre le racisme et l’antisémitisme, il faut lutter contre l’antiféminisme, contre le patriarcat dans un but commun – c’est une étape et pas un but.
Pour moi, le féminisme, c’est que les femmes et les hommes soient égaux, juste ça mais entièrement ça.
P/ Par rapport à la montée du féminisme en ce moment, les marches, les comptes Insta… quelle influence ça peut avoir sur le magazine ? Est-ce que ça lui offre un certain renouveau ?
I/ Cela nous nourrit complètement. C’est tout de même compliqué car la presse écrite est différente des comptes Instagram, et on ne le voit pas toujours d’un bon œil. Mais d’un autre côté cela montre que l’idée se propage et que les jeunes comme vous se sentent concerné·es.
P/ Avez-vous un message pour les jeunes qui se revendiquent comme féministes ?
I/ Non (rires), ce serait prétentieux d’avoir un message !
Je suis très contente de voir que « ça prend ». Ça n’est pas la bonne formule car ça reviendrait à dire que c’est un peu comme une mode, or ce que je veux dire, c’est que j’ai l’impression que c’est plus qu’une mode. Au début, on aurait pu se dire qu’on en parlerait plus dans trois ans mais non, on voit bien qu’on repense véritablement la société à tous les niveaux. J’ai un seul message, continuer, continuer et pas lâcher, quelques fois il y a des points sur lesquels on pourrait se dire « Boh la flemme quoi », mais non, il faut continuer, on gagnera !
P/ Avez-vous un message pour les personnes qui sont pour cette lutte mais qui ne se revendiquent pas comme féministes ?
I/ On est souvent confronté.es à des hommes et des femmes qui ne se revendiquent pas féministes, mais quand on leur pose la question « Vous pensez vraiment que les hommes et les femmes ne sont pas égaux ? » ils disent « Bah si », et je leur dis alors : « C’est ça le féminisme. C’est tout »
Il faut aller au bout de ça, pas de « ils sont égaux MAIS », il n’y a pas de mais ! (rires)
Souvent les gens ont peur d’un mot sans se rendre compte que finalement s’ils creusent derrière, ils sont féministes. Par exemple, parfois beaucoup d’hommes voient ça d’un mauvais œil, mais en vérité je suis convaincue que si on arrivait à une vraie égalité, les hommes aussi seraient mieux. On leur demande d’endosser un rôle très pesant au fond, ils ne s’en sont pas rendus compte pendant… des millénaires, bon d’accord (rires), mais il vaut mieux qu’on soit tous libres de ces vieux schémas. Je leur dis « Réfléchissez un peu, venez boire un coup on va en discuter », voilà ce que je leur dis.
P/ Que diriez-vous aux personnes qui se présentent comme antiféministes et comment vous leur expliqueriez votre point de vue ?
I/ Alors, de un je ne leur parle pas (rires), non je rigole il faut toujours parler aux gens.
C’est compliqué, souvent les masculinistes, qui défendent la masculinité, qui pensent que les hommes et les femmes ne sont pas égaux mais complémentaires, c’est souvent compliqué, ce sont des gens qui ne sont pas tellement de bonne foi en général, qui ont des arguments qui tombent et qui ne veulent pas y croire, qui partent de principes qui sont faux. C’est comme les gens qui vous disent que la Terre est plate, c’est difficile de discuter avec eux. Les masculinistes, honnêtement, c’est quelque chose que j’ai du mal à gérer sans m’énerver (rires), sans trouver les bons arguments. Quand on a l’impression d’avoir trouvé les bons arguments, c’est des gens qui défendent un monde qui leur est favorable, donc de toutes façons quoique vous leur disiez ils ne seront jamais d’accord parce que de toutes façons ils sont là pour leur survie, ils n’ont pas envie d’être convaincus.
P/ Dans notre lycée on est très engagé.es dans la cause féministe (une partie du moins), donc d’un point de vue plus adulte et plus d’un journal à plus grande échelle, quelle est la meilleure idée pour véhiculer des idées féministes en général ?
I/ Ce qui se passe en ce moment c’est déjà très bien, avec les réseaux, etc., c’est quand même le plus viral et le plus efficace aujourd’hui.
Après il y aussi l’exemple dans la vie quotidienne, tout bêtement : l’éducation des petites filles et des petits garçons. Un exemple de la vie, les profs : les deux opposés qui se rejoignent, d’une part la technologie pure et dure qui peut envoyer vraiment de manière virale et internationale des messages importants, et en même temps l’anti technologie c’est-à-dire la vie quotidienne toute bête qui peut vraiment diffuser les bonnes idées. Par exemple, les petits enfants de 3-4 ans à l’école : c’est là qu’ils apprennent, même s’ils ont déjà hélas des tablettes, c’est en voyant leur père, mère, maîtresse et copains.ines qu’ils apprennent un peu les relations. C’est là que ça commence.
P/ Avez-vous un rêve à réaliser chez Causette ?
I/ L’envie que d’un seul coup on sorte un scoop et BOUM on devient le magazine le plus lu et les gens s’abonnent par milliers (rires).
P/ À titre plus personnel ? Dans votre carrière ?
I/ Ça se confond un peu, je suis totalement impliquée dans la vie de ce magazine maintenant.
J’aimerais bien refaire de la radio, j’adore la radio, c’est là où je me sens le mieux donc ça serait mon rêve, d’avoir une émission de radio ou une série de podcasts, un truc qui me permette de raconter des choses dans un micro.
P/ Avez-vous des petits conseils pour les journalistes en herbe que nous sommes ? Sur l’écriture, le ton à adopter, les recherches ?
I/ Je pense qu’il faut être proche des gens à qui on veut parler, s’adresser aux gens sans trop jargonner, ce qui dans le féminisme est vraiment un truc sur lequel il faut veiller (rires).
Les gens ont envie de lire des histoires donc il faut toujours incarner ce qu’on veut raconter, être proche des lecteur·trices et ne pas hésiter à gratter là où ça fait mal, à trouver des trucs, même qui ne vous plaisent pas à vous, et pourquoi, comment, creuser des sujets, trouver des choses inédites intéressantes. Il ne faut pas hésiter à aller là où les gens ne vont pas au lieu de traiter des mêmes sujets.
Par Fiona Ragonneau (TS1) et Amandine Cotillon (TES2)