Paradoxe
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Feuilleton

Nouvelle : Tout arrive avec le temps

Partie 1

La première pensée d’Olympe en découvrant sa professeure d’histoire fut que celle-ci ressemblait étrangement à une bonne fée travestie en femme d’affaires. Les cheveux impeccablement coiffés, systématiquement vêtue d’un tailleur et chaussée de talons quel que soit le temps, elle semblait davantage prête à discuter de plans marketing que de donner cours à des élèves de lycée. Parallèlement, elle paraissait toujours sur le point d’éclater de rire, et ses yeux brillaient d’un éclat indescriptible, comme si elle seule connaissait un secret tout à fait désopilant. 

– … la IIIème République fut ainsi proclamée le 4 septembre 1870…

Dommage que sa voix monocorde rende sa matière encore moins intéressante aux yeux d’Olympe, qui ne cessait depuis le début du cours de jeter des coups d’œil en direction de l’horloge. Plus que cinq minutes, et elle pourrait enfin rentrer chez elle. Quatre minutes… Deux minutes… Une minute… 

Driiiing !

– Passez un agréable week-end, conclut la professeure, l’éclat malicieux de son regard redoublant d’intensité. 

Olympe s’empressa de sortir de la salle et de gagner le portail de l’école, afin d’y retrouver Ariane, sa meilleure amie d’enfance, qui ne manquerait pas de rouspéter si elle l’attendait plus de deux minutes. Évidemment, elle était déjà là.

– Tu en as mis du temps ! s’exclama Ariane en soupirant bruyamment.

– Tu dis ça à chaque fois, mais tu sais bien que le vendredi, je suis au dernier étage, je prends forcément plus de temps que toi à descendre, rétorqua Olympe avec une pointe d’agacement. Je n’aurais pas pu aller plus vite !

Les deux jeunes filles s’éloignèrent en silence de la foule amassée devant l’établissement.

– Tu étais avec Mme Silva ? enchaîna Ariane. Cette prof est vraiment trop bizarre, ajouta-t-elle en haussant les sourcils après qu’Olympe eut acquiescé. Je suis bien contente de ne pas l’avoir, une année m’a suffi !

– Au moins, elle me laisse tranquille pendant son cours, et je peux penser à des choses bien plus intéressantes que les conquêtes napoléoniennes ou la révolution industrielle. Comme la composition de…  

Olympe s’interrompit. Elle savait déjà ce qu’Ariane allait dire.   

– De nouveaux morceaux de piano ? compléta son amie. C’est vrai que le dernier était plutôt joli, tu dois avoir une bonne oreille. Je trouve ça bien, finalement, que tu continues à cultiver ce talent !

– Vraiment ? s’étonna Olympe, un sourire fleurissant sur ses lèvres. Ça me fait vraiment plaisir de t’entendre dire ça ! Justement, j’ai pensé rapidement à quelques idées pour le concours organisé par le conservatoire…

Ariane fronça les sourcils en une moue désapprobatrice. 

– Tu penses encore à cette histoire de concours ? Honnêtement Olympe, je ne suis vraiment pas sûre que ce soit une bonne idée d’y participer. Tu ne joues du piano que depuis cinq ans, alors que beaucoup ont débuté à l’école primaire. Tu seras confrontée à des concurrents bien plus expérimentés qui composent depuis des années, tandis que tu t’es mise à la composition il y a moins d’un an. Tu devras travailler dur pour rattraper ton retard, sans réelle chance de gagner. Après, tu fais ce que tu veux, ajouta-t-elle en haussant les épaules. Mais je pense que ce serait plus une perte de temps qu’autre chose. Tu devrais continuer à composer juste pour le plaisir, sans pression, et dans quelques années tu participeras à d’autres concours en étant certaine d’avoir un espoir de les remporter. 

Le sourire d’Olympe retomba aussitôt. Bien sûr, Ariane avait raison. Il existait quantité de musiciens bien plus talentueux qu’elle, et bien plus dignes de remporter ce concours. Au fond, elle savait déjà qu’elle ne se présenterait pas au concours : Ariane venait simplement de confirmer les certitudes qu’elle ne s’était pas franchement avouées. Quelques rues plus loin, son amie bifurqua pour rentrer chez elle, tandis qu’elle-même continuait sa route. 

Une fine brise se leva, faisant voleter les cheveux d’Olympe, gagnant en intensité de seconde en seconde. La jeune fille ne s’en soucia guère, jusqu’à ce que son foulard s’envole à cause de la force du courant d’air. Après l’avoir rattrapé in extremis, Olympe s’arrêta net : les rafales de vent étaient désormais d’une violence inédite, pourtant personne dans la rue ne semblait sans soucier. Pire, personne ne paraissait les voir ni les sentir… 

La jeune fille s’aperçut avec stupéfaction que les bourrasques se resserraient autour d’elle, l’emprisonnant bientôt dans un tourbillon d’air et de poussière. Le vent sifflait violemment dans ses oreilles, ses cheveux lui fouettaient le visage et ses yeux peinaient à rester ouverts face à la tempête qui agressait ses pupilles. Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Incapable de penser à quoi que ce soit d’autre, cette unique question tournait en boucle dans son esprit, tandis que la rue s’effaçait progressivement autour d’elle. Olympe sentit vaguement ses pieds quitter le sol, emportée par le tourbillon sans pouvoir opposer la moindre résistance. Les rafales de vent redoublèrent d’intensité, la trimballant dans les airs comme une vulgaire poupée de chiffon. Elle aurait été bien incapable de reconnaître sa droite de sa gauche, ou de distinguer le haut du bas : son esprit nageait dans la plus totale confusion. Elle renonça à tenter de garder les yeux ouverts, même en protégeant son visage de ses bras, et s’abandonna à la force surnaturelle dont elle était prisonnière. 

Astrée Tarena, T4

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